Il y a quelques jours, je vous parlais ici de cette soif d’espace, ce sentiment continental et cette illusion de l’autosuffisance que pouvaient ressentir certains Américains. Pour nous qui vivons au coeur d’un espace économique, politique et culturel quasi-totalement ouvert, l’idée d’autonomie est rarement mobilisée politiquement (quoique, certains nucléocrates s’y sont tentés, comme je vous l’expliquais ici) de façon efficace.

Pour les populations conservatrices du Middle West et du Sud des USA, littéralement situées aux confins du monde, cette autonomie a encore toute sa force symbolique, même si elle s’avère être totalement chimérique dans ce monde globalisé. Ils pensent réellement à cette capacité putative qu’aurait la première puissance mondiale à vivre en autarcie énergétique.

Le débat sur l’énergie, pour la partie de campagne électorale que j’ai suivie de l’intérieur, était à cet égard terriblement éclairant. Inutile de vous rappeler ces chiffres : les USA sont les plus grands consommateurs d’énergie du monde, en absolu et par tête d’habitant. L’emprunte écologique d’un habitant des Etats-Unis est sans comparaison. L’économie américaine est littéralement portée par la consommation … de matières premières et de biens finis généralement produits ailleurs, au Moyen-Orient et en Chine essentiellement. Tout ça est vrai dans la plupart des pays industrialisés, y compris chez nous, mais là-bas la situation est caricaturale.

En choisissant Sarah Palin comme candidate Vice-Présidente, les Républicains font efficacement écho à cette croyance. C’est martelé dans tous les discours et dans toutes les publicités télévisées : « allons chercher chez nous le pétrole que nous achetons aujourd’hui chez les ennemis de l’Amérique » (l’Arabie Saoudite entre autre, 700 000 000 000 $ d’échanges par an). C’est ainsi que le début de campagne a été littéralement pollué par la question du « drill now », à savoir donner aux compagnies pétrolières le droit de prospecter « offshore » et dans les réserves naturelles du Grand Nord … à commencer par les zones vierges encore protégées d’Alaska, dont Palin est justement gouverneure.

On a tendance à l’oublier en Europe, mais les Etats-Unis sont producteurs de pétrole. Pour de nombreuses personnes de l’Ouest (Californie) et du Sud (Texas), croiser un derrick sur la route de son école ou de son travail n’est pas une exception. J’en ai fait l’expérience … Evidemment, la production américaine « propre » est notoirement insuffisante (même éventuellement augmentée du produit des stations offshore) par rapport au puits sans fond que représentent les besoins démesurés des citoyens US ! Mais le fait d’avoir du pétrole dans son jardin incite un grand nombre de ces populations isolées à toujours croire à ce rêve de l’autonomie énergétique. C’est d’autant plus frappant pour nos yeux d’Européens peu aguerris à cette mentalité qu’ils sont occupés à faire la guerre en Irak … pour s’assurer entre autre une sécurité d’approvisionnement énergétique ! Mais cette idée percole peu dans les cénacles ruraux et conservateurs.

Le slogan « drill now » des Républicain a été à ce point efficace qu’Obama a été contraint, face à cet argument massue, de modifier sa position sur les forages offshore (il y était opposé au début), agrémenté du qualificatif « limité ». Terrible. Si Obama n’avançait pas sur ce terrain, il risquait la décrédibilisation totale et le rangement définitif de sa campagne dans la case « naïve ». Ironique. Le système politique bipartisan  montre ici sa totale hypocrisie car on sait qu’une future administration Obama empêcherait la prospection offshore, ce qui a d’ailleurs provoqué le silence gêné des organisations environnementales (qui souhaitent l’élection du sénateur de l’Illinois). Il n’empêche que pour aller chercher des électeurs au centre (géographique et politique), Obama se devait d’adopter cette position politique pragmatique. Déprimant.

Le discours plutôt en vogue (disons-le, même carrément à la mode) de notre côté de l’Atlantique sur l’efficacité énergétique ou la simplicité volontaire ne touche qu’une infime minorité d’intellectuel-le-s des deux côtes américaines. Les voitures sont d’un poids, d’une taille et d’une cylindrée totalement démesurés. C’est enfoncer une porte ouverte, mais c’est vrai. Ce qui me frappe encore plus, c’est la présence massive des marques japonaises et … européennes. Certes, le marché US reste friand de SUV et autres pick-ups, mais l’augmentation du prix des carburants a poussé nombre de consommateurs à se tourner vers des véhicules  toujours beaucoup plus grands (en moyenne) que nos véhicules européens mais beaucoup moins énergivores que la plupart des véhicules fabriqués par les marques américaines (GM, Ford, Chrysler). Or cette nouvelle catégorie de véhicules (Toyota surtout, dont la fameuse Prius) n’est pas fabriquée sur ce continent-là. C’est un comble de voir le peuple qui a inventé l’automobile et la civilisation qui lui a emboîté le pas rouler dans des voitures qui ne sont pas fabriquées sur son sol. Même les véhicules de luxe sont désormais majoritairement européens !

Les conséquences de cette inadaptation industrielle et stratégique sont catastrophiques pour l’économie américaine. Les usines du Nord-Est (surtout près de Détroit) ferment les unes après les autres, laissant sur le carreau quantité de « cols bleus », ces ouvriers (qualifiés) américains à qui l’ex-candidate Hillary Clinton savait si bien parler. C’est d’ailleurs ce qui a guidé Barack Obama à choisir Joe Biden (proche des Clinton’s) comme candidat Vice-Président : ses origines ouvrières, au-delà de sa compétence reconnue par le microcosme washingtonien en matières internationales.

Ce débat énergétique a lieu dans le contexte mondial de l’augmentation drastique du prix des produits pétroliers. Mais entendons-nous. Aujourd’hui le prix du carburant est incommensurablement plus bas là-bas qu’ici. Au moment où j’ai pris cette photo, l’essence normale était à $3,77 le galon, soit … 0,70€ le litre ! Le vrai levier menant au changement de mentalité est encore loin, très loin.

Le discours d’Obama sur les énergies renouvelables, l’isolation du bâti et la limitation du nucléaire civil tombe totalement à plat chez bons nombres d’électeurs quand s’énoncent en face les diatribes républicaines simplistes et efficaces sur le pétrole endogène. C’est une réalité stratégique qui rend bien peu optimiste.

PS : Gas War est une vraie marque de produits pétroliers. Amusant non ?