Egypte (3)
Comme vous le savez, l’armée a toujours joué un rôle capital dans l’histoire contemporaine égyptienne. Lors des évènements de janvier et février, elle était encore le pivot du changement de régime : c’est en décidant de ne pas contrer le vaste mouvement populaire que l’armée a renforcé les contestataires et au final, leurs revendications. C’est vrai qu’au final elle détient le pouvoir (elle ne l’a en fait jamais perdu) mais quel contraste avec la situation libyenne !
Dans l’Egypte d’aujourd’hui, vous croisez littéralement un char à tous les coins de rue. C’estd’ailleurs assez cocasse quand on y pense. Que pourrait faire un char de 50 tonnes face à des troubles ou assaillants potentiels ? Tirer un obus ? Dans les rues étroites – par exemple – du Caire islamique ? L’enjeu on l’a compris est tout autre : il s’agit d’une occupation symbolique du terrain (absolument tous les terrains). On m’a expliqué que dans l’esprit d’une majorité d’Egyptiens, l’armée apparaissait comme la garante de cette Révolution. Pour reprendre les termes qui m’ont été présentés plusieurs fois : « Sous Nasser, c’est la population qui a validé et protégé le coup d’Etat contre Farouk. En 2011, ce sont les Egyptiens ont fait la Révolution que l’armée désormais protège ». Mais auraient-ils le choix ?
Ça peut sembler bizarre d’un point de vue européen, mais l’armée est vue ici comme une structure rassurante, quand bien même Moubarak en soit issu, et même si c’est au fond un régime militaire qui gère ce pays depuis la Seconde Guerre mondiale. Il faut dire que cette armée emploie beaucoup de monde, comme soldats bien sûr mais pas seulement ! Elle joue un rôle essentiel dans bon nombre de secteurs de la vie économique comme l’agriculture ou la fabrication d’équipements. D’ailleurs, quand on compare la perception que la population a de la police et de son ex-patron Habib el-Adli, l’armée garde un immense prestige. La police a par contre réprimé les mouvements, dans le sang. Une haine populaire féroce rend el-Adli responsable de tous les maux, et de tous les morts, parfois plus que Moubarak ou sa famille.
Pendues aux rétroviseurs de nombreuses voitures ou plaquées sur les murs du Caire, des affiches reprennent le portrait des héro.ïne.s (souvent très jeunes) tombé.e.s sous les balles de la police lors de la Révolution. L’armée a les mains propres de ce point de vue. Il n’est pas impossible que vue l’interpénétration très forte entre les très nombreux militaires et la population (chaque famille a un en son sein), l’hypothèse même d’une répression militaire a été rapidement abandonnée. Elle était d’autant plus inenvisageable que c’est contre ses frères ou sœurs que le militaire aurait du se battre.
Aujourd’hui, les militaires postés dans les lieux à forte affluence en sont réduits à être des sujets de clichés touristiques. Les Egyptiens montent sur les chars en faisant un signe de victoire, et s’y font photographier, en masse. L’armée toute puissante est souvent vue comme la complice du peuple, qui découvre chaque jour qu’il a modifié le monde, son monde. Quand Hussein Tantaoui, chef du Conseil suprême des forces armées, a débarqué sur la Place Tahrir pour y prendre la parole, tout le monde s’est tu. Là-bas, ils ont envie de croire que les militaires ne confisqueront pas cette Révolution. Le référendum du week-end dernier montre que l’armée n’a pas menti sur son calendrier, mais la route est longue. Inch’Allah.
(à suivre)