La presse européenne faisait état la semaine dernière de « vives tensions » entre Musulmans et Chrétiens en Egypte en général et au Caire en particulier. On parle d’une dizaine de morts suite à des heurts dans un quartier populaire du Caire ! La rumeur ici parle d’une sombre et emblématique histoire d’amour à la « Roméo et Juliette » qui aurait mis le feu aux poudres (avec surtout une destruction d’église). Et comme dans la pièce de Shakespeare ça a malheureusement mal terminé : la mort du jeune homme. Les Capulets chrétiens en veulent désormais à mort aux Montaigus musulmans et/ou inversement.

C’est ainsi que jeudi soir j’ai pu voir une longue marche (chrétienne) longer les rives du Nil. Elle s’est calmement disloquée Place Tahrir. Cette « marche de l’unité » visait à demander la protection des minorités. On estime entre 8 à 12% le nombre de Chrétiens (dits coptes) en Egypte, sur une population totale de 80 millions d’habitants. S’il est vrai que la moindre étincelle fait craindre à quelques-uns un potentiel embrasement généralisé, tous les Egyptiens que j’ai rencontrés restent stoïques : ça fait presque 1.500 ans que Musulmans et Chrétiens vivent ensemble ici. Je reviendrai sur la question religieuse dans un autre post, il y a des choses à dire.

Place Tahrir et le bâtiment du parti de Moubarak

Alors que les journaux occidentaux devisaient mercredi dernier sur une dépêche annonçant un regain de violence sur laplace Tahrir (« 100 personnes avec des couteaux »), j’étais logiquement inquiet de me rendre au Caire le soir même. A mon arrivée, j’ai trouvé une place Tahrir placide. Enfin, placide n’est pas le mot puisque cet espace public doit faire 60 fois la Grand-Place de Bruxelles … et c’est le rond-point central de toute la ville. Il y règne un vacarme sans nom. Les centaines de taxis qui la traversent chaque seconde ne peuvent s’empêcher de klaxonner pour s’annoncer (parfois) ou pour rien (souvent).

Plus personne ne fait désormais le siège de cette place-symbole. La seule activité humaine permanente à cet endroit … ce sont les pharaoniques travaux de rénovation de l’affreux hôtel Ritz-Carlton.A u loin, vous pouvez voir l’immeuble de style mussolino-stalinien du siège du parti de Moubarak, incendié durant la révolte. On dit ici que que les officiels du parti eux-mêmes auraient mis le feu au building. Tant qu’à brûler des pièces à conviction pour de probables futurs procès, autant brûler le contenant avec le contenu.

Le Caire, 18 millions d'habitants

Cependant, jusqu’à mercredi, un campement de 120 paysans pauvres arrivés au Caire à la faveur de la Révolution a été délogé par l’armée. La capitale est devenue après le 25 janvier l’endroit où tout devient possible, ce qui pousse des tas d’Egyptiens – encore plus qu’avant – à venir y tenter leur chance. La capitale compte 18 millions d’habitants. A défaut de changer le monde, ces immigrants internes pourraient changer leur vie !

On raconte ici que des pro-Moubarak avaient infiltré ce groupe de campeurs aux revendications multiformes et disparates afin d’attiser la violence et démontrer que sans la Raïs, c’est le chaos. Au moment où l’armée a décidé d’évacuer les campements qui occupaient les rares parterres du lieu, ces infiltrés auraient sorti des couteaux et s’en seraient servis. D’où l’incident rapporté, mais qui n’a rien à voir avec les tensions religieuses !

C’est l’une des conséquences de cette Révolution : la liberté de manifester, la liberté d’expression, la liberté de revendication (re)trouvées. Et évidemment, Tahrir est le point focal, la marque symbolique de ce changement. Elle est devenue l’endroit où on revendique, on proteste, on s’exprime. Voilà pourquoi depuis un mois convergent là-bas tant de citoyen.ne.s pour faire valoir leurs opinions, leur mal-être, leur volonté de changement, en toutes matières. C’est pour ça que quotidiennement, quelque chose se passe là-bas. C’est d’ailleurs devenu un sujet de blague au Caire. Un Cairote me racontait que certains se rendaient sur place pour regarder la « manifestation du jour » et que souvent il y avait plus de spectateurs que de manifestants. C’était impossible avant, ça l’est aujourd’hui. Au fond, tant mieux.

(à suivre)