"Cas(s)er du pauvre"
C’est un phĂ©nomĂšne mondial. Les centre-villes des grandes mĂ©tropoles connaissent un regain d’intĂ©rĂȘt et de dynamisme, tant Ă©conomique que dĂ©mographique. Les rues et places se rĂ©novent, de nouveaux commerces s’installent, de nouveaux habitants aussi. Ce phĂ©nomĂšne n’Ă©chappe pas aux villes belges, et Ă Bruxelles en particulier. Ce qui semble a priori positif pour la ville ne l’est pourtant pas pour tous ses habitants.
Pour des raisons, pratiques, Ă©cologiques et affectives, j’habite dans le centre-ville de Bruxelles et ce matin, en me rendant Ă pied au bureau, je me suis rendu compte que le tout dernier commerce historique de la Rue Dansaert (un magasin de pĂȘche appelĂ© SougnĂ©) allait ĂȘtre remplacĂ© par un « flagship store » Replay, marque branchĂ©e et bobo par excellence. VĂȘtement que, je me dois de le dire, je porte parfois.  đ
Ca c’est le phĂ©nomĂšne positif : d’importantes sections de la ville historique redeviennent les artĂšres commerçantes qu’elles Ă©taient autrefois. Ces lieux rĂ©novĂ©s offrent des espaces de rencontre, des lieux de ballades touristiques et d’Ă©changes commerciaux, ce qui fait du bien quand on pense aux chancres qui sĂ©vissaient en ces lieux autrefois. Chose bien normale dans une grande ville internationale comme Bruxelles que d’avoir son quartier hype.
Le revers de la mĂ©daille est que les populations d’origine Ă©trangĂšre qui dans les annĂ©es 60 et 70 (lorsque les Belges bon teint quittaient en masses ces quartiers centraux pour la verte pĂ©riphĂ©rie) se sont installĂ©s dans ces rues… ne peuvent plus s’offrir des loyers d’un quartier devenu branchĂ©.
Dans l’Ă©dition bruxelloise du Soir de ce lundi, le Ministre-PrĂ©sident PicquĂ© estimait en gros que « Les quartiers en rĂ©novation sĂ©duisent des gens qui ont un niveau d’Ă©ducation et d’Ă©tudes supĂ©rieur mais qui n’ont pas nĂ©cessairement un pouvoir d’achat Ă©levĂ© ».
Euh … si ! Les nouveaux habitants du quartier Dansaert n’atteignent certes pas la moyenne des revenus des citoyens d’Uccle ou WoluwĂ©-Saint-Pierre … mais ils ont un niveau vie d’une toute autre ampleur que celui des habitants historiques de leur quartier ! Croyez-moi …
Le chercheur de l’ULB, Mathieu Van Criekingen, a effectuĂ© des recherches sur ces phĂ©nomĂšnes dits de gentrification. Pour lui, on parle systĂ©matiquement de mixitĂ© sociale lorsque l’on rĂ©nove des quartiers populaires pour les rendre attractifs aux revenus plus fournis … mais jamais lorsqu’on envisage l’installation de logements dĂ©diĂ©s à des personnes Ă revenus modestes dans des quartiers bourgeois. Le Ministre-PrĂ©sident-PicquĂ© confirme cette vision fort peu sociale : « La mixitĂ© n’a pas pour objectif de faire habiter une personne prĂ©carisĂ©e drĂšve de Lorraine (NDLA : appelĂ©e aussi square des Milliardaires) ». Ma question est la suivante : « mais pourquoi pas ? ».
C’est une partie de la rĂ©ponse Ă apporter, construisons plus de logements sociaux au Sud-Est de Bruxelles ou dans le Brabant wallon (j’entends d’ici le MR hurler) ! L’autre rĂ©ponse Ă cette gentrification, c’est de se lancer dans la rĂ©novation et l’augmentation du nombre de logements publics dans ces quartiers gentrifiĂ©s. En effet, si vous rĂ©novez l’espace public dans un quartier donnĂ©, vous augmentez du coup la valeur des biens privĂ©s de cet endroit. Mais avec un important parc public de logements sociaux dĂ©diĂ©s aux personnes Ă revenus faibles, les pouvoirs publics peuvent maintenir (Ă loyer constant) une importante partie de la population prĂ©caire et historique Ă l’endroit oĂč elle a toujours habitĂ©.
C’est le cas de mon quartier. En face de mon immeuble sont situĂ©es 5 tours de logements sociaux du Foyer bruxellois. Elle sont moches, mal isolĂ©es, vieillotte mais je me battrai jusqu’au bout pour que du logement social perdure Ă cet endroit, voire que de nouvelles habitations sociales soient encore construites. C’est une question de dignitĂ© pour les habitants de ces quartiers.
La Ville , c’est l’Ă©change. La Ville c’est le mĂ©lange. La rĂ©novation urbaine a eu ses ratĂ©s, M. PicquĂ© ferait mieux de le reconnaĂźtre et de prendre les mesures nĂ©cessaires pour contrer les effets sociaux nĂ©fastes d’un phĂ©nomĂšne dont tous les Bruxellois se rĂ©jouissent : la dynamisation de leur ville. Non, la solution n’est pas â comme il l’a dit en boutade â de « dĂ©sinvestir ». Lorsqu’un important investissement public est consenti dans un quartir, il s’agit d’investir conjointement dans le parc de logement public !
NB : Pour celles et ceux que ça intéresse, allez lire les travaux de Mathieu Van Criekingen ou surfez sur le site du Secrétariat Régional au Développement Urbain (qui a édité un fort intéressant cahier sur la rénovation urbaine dont est issue la carte présentée en début article).