Me voici arrivé à la fin de mon récit américain, de quoi faire le lien entre les deux bords de l’Atlantique : l’économie. Le jour où à la mi-septembre le Secrétaire américain au Trésor Henry Paulson annonçait la reprise en main par l’Etat américain des entreprises Freddie Mac et Fannie Mae, j’étais bien loin de me douter qu’un mois plus tard, tous les gouvernements du monde allaient nationaliser certaines de leurs plus importantes banques.

Ce jour-là, j’étais au milieu des derricks californiens, à l’écoute de l’autoradio et de ma station publique préférée (la seule qui émet partout) : NPR. Les Etats-Unis ont un rapport quasi incestueux avec l’économie de marché et pas uniquement parce qu’ils se sont considérés comme la Mecque capitaliste du monde libre durant la Guerre froide. Le rapport à l’Etat et ses vertus régulatrices (castratrices diraient-ils) sont extrêmement tendues avec plus grand nombre des conservateurs. Beaucoup d’Américains estiment qu’au plus l’Etat sera réduit, au mieux ils se porteront. Sarah Palin ne cesse d’ailleurs d’assener à chaque fois qu’elle et John McCain allaient « remettre l’Etat du côté des Américains ». Elle sous-entend clairement par là qu’elle veut le dégraisser (« tax cuts », « cut spendings »). Toujours la même litanie.

Ce qui est intéressant dans l’actuel phénomène mondial de nationalisations tous azimuts, c’est qu’il est généralisé, peu importe l’orientation politique des gouvernements concernés. C’est d’ailleurs le chantre du néo-libéralisme forcené, Henry Paulson, qui a nationalisé quantité d’institutions financières américaines et qui a lancé un plan de sauvetage public des banques de 700 milliards de dollars, qui porte son nom. Lui ! Paulson est le dérégulateur compulsif des années Bush.

Cette déconvenue totale des préceptes néo-libéraux de base me met en rage plus qu’elle ne me réjouit. Depuis Reagan et Thatcher, cette conception de l’économie fait prévaloir l’idée que le secteur public est a priori moins bien géré que le secteur privé. L’actualité montre à quel point c’est totalement vide de sens. Cette idéologie a amené les gouvernements occidentaux à privatiser depuis 1980 quantité d’entreprises publiques, à commencer par les banques ! L’Etat, disaient-ils et osent le dire encore (sic), n’a pas vocation à gérer des entreprises. Sauf quand ça va mal on dirait et qu’il faut ramasser les pots cassés par des CEO incompétents ou particulièrement avides, comme aujourd’hui.

Freddy Mac et Fannie Mae sont des exemples extrêmement parlants de cette dérive néo-libérale. Fannie a été créée au lendemain de la Grande Dépression (resic), par l’Etat fédéral américain. Cette société publique avait pour tâche de garantir les emprunts hypothécaires des familles à revenus modestes pour leur permettre d’accéder à la propriété. Cette construction financière avait vu le jour car le secteur bancaire américain ne prenait à l’époque pas le risque de prêter à ces populations pauvres. Vingt ans plus tard, pour respecter la sacro-sainte loi américaine de la « saine » concurrence, le gouvernement US créait Freddy, avec exactement le même objectif. Ces deux sociétés furent rapidement privatisées, suivant par là la même logique capitalistique pure.

Freddy et Fannie avaient au départ un seul objectif extrêmement clair : réassurer les emprunts hypothécaires pour familles à revenu modeste, pour leur permettre d’avoir accès à la propriété. En se privatisant, l’objectif s’est totalement brouillé. Comme sociétés privées, elles devaient également rétribuer leurs actionnaires. Quel était donc l’objectif prioritaire ? Impossible de répondre. Dans tous les cas, Freddy et Fannie sont devenus tellement énormes qu’elles ont fini par être liées en 2008 à 50% des emprunts hypothécaires américains et 33% des emprunts hypothécaires mondiaux ! Elles ont été frappées de plein fouet par la crise dite des subprimes, étant elles-mêmes à la base de ces créances pourries.

Entendons-nous, si ces deux sociétés étaient restées publiques, elles auraient tout bonnement assuré leur tâche, au bénéfice de ceux pour qui elles ont été créées. Elles ne seraient pas devenues ces mastodontes de la finance, ingérables, tentaculaires et au final … inefficaces. Car au fond, il ne reste plus rien de ces deux sociétés autrefois florissantes (plus d’os à ronger pour les actionnaires-vautours qui entre-temps se sont largement servis) … tandis que l’Etat américain pallie aujourd’hui lui-même à l’absence de société réassureuse des prêts pour « pauvres » … qu’il avait pourtant créé voici 60 ans !

Cet exemple lointain pour montrer l’absurdité et l’inefficacité du mythe de la privatisation pour la privatisation, du grandir pour grandir. J’ai pris à dessein l’exemple de Fannie & Freddy pour mieux faire comprendre que la même logique était à l’œuvre lors de la privatisation de la CGER (caisse de retraite … devenue Fortis avec l’ex-générale de Banque) ici en Belgique. La logique d’expansion déraisonnable est la même, que ce soit pour Freddy & Fannie comme pour Fortis et son rachat risqué d’ABN-Amro.

Le Crédit Communal, « la banque des communes », est né pour financer les projets des communes belges. Il est devenue la banque Dexia, dont on connaît les difficultés aujourd’hui. Cette banque de taille gigantesque a du être recapitalisée par les différents pouvoirs publics belges et français, sous peine de faillite. Cette hypothèse aurait été catastrophique, car cela aurait voulu dire que l’outil fondamental de financement des communes allait disparaître, ce que personne ne pouvait se permettre !

Encore une fois, le mythe de la privatisation / expansion a prévalu sur l’efficacité et la poursuite des objectifs de base de l’entreprise, comme pour Fannie et Freddy.

Mais dans le cas de Dexia, j’ai décelé comme d’autres des circonstances très aggravantes. Des administrateurs publics (c’est-à-dire politiques), provenant des pouvoirs publics (essentiellement communaux) étaient présents dans les instances dirigeantes pour « veiller au grain », et garantir le caractère « communal » de Dexia. C’est d’ailleurs comme ça que ces administrateurs grassement rémunérés justifient leurs émoluments : 33000 € par an. C’étaient les arguments de Di Rupo en 2004, entre-temps remplacé (Di Rupo, pas les arguments).
Leur seule tâche consistait à veiller à ce que l’objectif prioritaire de Dexia reste assumé, malgré la folie des grandeurs d’expansion (comme FSA aux Etats-Unis …) et de diversification choisie par ses dirigeants. On se demande ce qu’ils ont fait dans ces Conseils d’Administration ! Ils ont failli, très clairement, or on ne peut pas dire qu’ils soient trop peu nombreux, jetons un coup d’œil :

Berton Marie-Hélène
Dexia (Holding communal)
MR
Bervoets Geert
Dexia (Holding communal)
SP.A
Biefnot Richard
Dexia (Holding communal)
PS
Bouchat André
Dexia (Holding communal)
cdH
Cnudde Frank
Dexia & Ethias
Open VLD
Daems Rik
Dexia (Holding communal)
VLD
De Beule Steven
Dexia
CD&V
De Clerck Stefaan
Dexia (Holding communal)
CD&V
de Jonghe d’Ardoye d’Erp Yves
Dexia (comité de surveillance)
MR
Deconinck Marc
Dexia
PS
Demeyer Willy
Dexia
PS
Destexhe Bernard
Dexia
PS
Drion Dominique
Dexia (Holding communal)
cdH
Ernst Serge
Dexia
cdH
Gabriëls Jaak
Dexia (Holding communal)
Open VLD
Gabriëls Jef
Dexia (Holding communal)
CD&V
Hardiquest Godelieve
Dexia
CD&V
Haverals Anja
Dexia
CD&V
Janssens Patrick
Dexia
SP.A
Kubla Serge
Dexia
MR
Lachaert Patrick
Dexia
Open VLD
Ledent Daniel
Dexia (Holding communal)
PS
Meurice Jean-Luc
Dexia (Holding communal)
MR
Monseu Béatrice
Dexia (Holding communal)
MR
Mouzon Anne-Sylvie
Dexia (Holding communal)
PS
Nihoul Jean-Claude
Dexia (Holding communal)
cdH
Parmentier Claude
Dexia (Holding communal)
PS
Thijs Guido
Dexia
NVA
Van Parys Tony
Dexia (Holding communal)
CD&V
Van Rompuy Herman
Dexia
CD&V
Vandecastee Jeanle
Dexia (Holding communal)
SP.A
Verkest Hendrik
Dexia
CD&V
Vermeiren Francis
Dexia (Holding communal)
Open VLD
Viseur Jean-Jacques
Dexia
cdH

Cette liste provient de deux sources. La première est le Moniteur Belge du 14 août 2008 qui reprend les mandats assumés en 2007 et que chaque mandataire doit légalement remettre chaque année. Elle est librement consultable sur Internet. La seconde est le site de Dexia lui-même, dont les infos (visiblement pour 2008) ont été reprises sur le superbe site de nos amis de Jong Groen. Vous constaterez, que comme dans le cas d’Electrabel (dont je vous parlais ici), elle ne renseigne que des mandataires de partis traditionnels ! On en reparlera.

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