(this is not) a Miracle 2
MalgrĂ© tout ce que je vous ai expliquĂ© ici, ici et lĂ , Barack Obama a selon moi toutes ses chances comme candidat Ă la Maison blanche. Ce candidat “Ă©tranger” est le moins en phase avec les aspirations et le vĂ©cu de l’AmĂ©rique profonde, oui, celle qui fait et dĂ©fait les PrĂ©sidents. Sans angĂ©lisme aucun, je pense pourtant qu’un Ă©lĂ©ment central et relativement nouveau et qu’il a lui-mĂȘme apportĂ© peut aider Obama dans son entreprise : l’enthousiasme politique qu’il suscite, chose assez rare en politique (amĂ©ricaine). Efficace ? On verra.
La premiĂšre fois que j’ai entendu ce discours Ă la convention dĂ©mocrate de 2004, j’Ă©tais Ă©bahi devant tant de talent, de magnĂ©tisme et de prestance. Ce sĂ©nateur de l’Illinois (Ă l’Ă©poque) Ă©tait inconnu de tou-te-s mais a rĂ©ussi Ă tenir un discours de prĂ©sidentiable … devant 17 000 000 de tĂ©lĂ©spectateurs. C’Ă©tait le dĂ©but de son histoire. Sa chance, saisie Ă pleine main.
C’est un outsider absolu, de tous les points de vue. Il est le vainqueur de primaires dĂ©mocrates trĂšs disputĂ©es. Il a pourtant battu une Hillary Clinton quasiment sĂ»re de son fait, s’appuyant sur les nombreux rĂ©seaux traditionnels et la lĂ©gitimitĂ© en cascade de son partenaire politique / Ă©poux. Les temps avaient changĂ©.
Comme candidat Afro-AmĂ©ricain ayant vaincu une femme pour parvenir Ă la nomination dĂ©mocrate, il a poussĂ© son adversaire Ă choisir une colistiĂšre de sexe fĂ©minin. Inimaginable auparavant, il a involontairement poussĂ© son opposant Ă bousculer les habitudes du GOP (Grand Old Parti â Parti rĂ©publicain). Cela a aussi ouvert une brĂšche contre lui : serait-il sexiste ? Certains conservateurs le croient, comme ils croient qu’il est Musulman, ou militant communiste ! Ajoutons Ă cela l’image d’un parti dĂ©mocrate divisĂ©, peut-ĂȘtre contrebalancĂ©e avec l’opportunitĂ© que cette bataille mĂ©diatique lui a offert pour prĂ©senter ses idĂ©es (j’y reviens la fois prochaine).
Obama et son Ă©quipe (dont le gĂ©nial David Plouffe, rencontrez-le plus bas) utilisent l’outil internet comme jamais personne ne l’avait fait auparavant. Une bonne partie de cet enthousiasme, chez les jeunes en particulier, provient de cette habilitĂ© Ă utiliser tous les ressorts et les ressources qu’offrent les nouvelles technologies (tĂ©lĂ©phone portable compris). Ils ont dĂ©passĂ© l’idĂ©e d’un « web vitrine » (exposĂ© du programme et de la biographie) pour entrer de plein pied dans le web interactif : facebook, (gigantesques) campagnes pour le don en ligne, e-mails ciblĂ©s, vidĂ©os virales, tout y est. Cela a suscitĂ© l’admiration des fans de technologies, qui le lui rendent bien, comme le monde du spectable en gĂ©nĂ©ral, quasiment entiĂšrement acquis.
J’ai Ă©tĂ© frappĂ© par la ferveur des supporters d’Obama que j’ai croisĂ©s. Par les diffĂ©rentes attentions que l’Ă©quipe d’Obama leur procure (mails d’encouragement, vidĂ©os dĂ©dicacĂ©es comme ci-dessus), ils se sentent investis de leur mission, ce qui a d’ailleurs permis Ă Obama de gagner dans des Etats a priori trĂšs difficiles durant les primaires. C’est cet enthousiasme-lĂ , crĂ©Ă© de toute piĂšce par Obama lui-mĂȘme, qui fait partie des plus qui peuvent faire pencher la balance de son cĂŽtĂ©. Replaçons-nous dans les contextes des 2 derniĂšres Ă©lections prĂ©sidentielles : quel contraste entre ce candidat-ci et les deux tristes-sires dĂ©mocrates prĂ©cĂ©dents …
C’est abject d’un point de vue europĂ©en mais l’argent est le nerf de la guerre de la politique amĂ©ricaine. Il en faut pour payer de nombreux spots publicitaires tĂ©lĂ©visĂ©s. Les dons en ligne n’ont jamais Ă©tĂ© aussi importants lors d’une campagne Ă©lectorale amĂ©ricaine. Dans le cas d’Obama, ils proviennent pour leur immense majoritĂ© de personnes Ă revenus moyens ou faibles … mais en trĂšs, trĂšs grand nombre. A titre d’exemple, le jour oĂč Sarah Palin Ă©tait bruyamment intronisĂ©e comme candidate Vice-PrĂ©sidente, le ticket McCain-Palin recevait 8 000 000 $. Ce mĂȘme soir, le ticket Obama-Biden recevait 10 000 000 $. Ca donne le tournis. Obama est assis sur un magot Ă©lectoral tellement gigantesque que paradoxalement il ne fera pas appel aux fonds publics de financement de campagne. Cela lui permettra de pouvoir dĂ©penser lĂ©galement sans plafonnement. Fou.
Barack Obama, qu’on aime ou qu’on aime pas, a rĂ©inventĂ© la « grassroots politics » : cette façon de faire de la politique que comme Ă©cologiste j’aime et pratique. C’est le rĂȘve de la participation. Bien sĂ»r, ça se fait dans ce cas-ci Ă la sauce amĂ©ricaine, avec une dose inouĂŻe de mĂ©dias, d’exagĂ©rations, de moyens financiers et parfois de (trop) bons sentiments. Mais la force d’Obama c’est cette valorisation de la participation et de la militance. Il ne serait jamais devenu ce qu’il est devenu sans cette capacitĂ© Ă mobiliser les membres dĂ©mocrates et ses nouveaux supporters. Ce n’est au dĂ©part ni le fric, ni les lobbies qui ont crĂ©Ă© le personnage d’Obama … mais l’enthousiasme de celles et ceux qui depuis ce fameux discours de 2004 ont cru en lui et l’articulation de ses idĂ©es.
Obama mobilise aujourd’hui un Ă©lectorat jeune, plutĂŽt urbain, multiculturel et fĂ©minin qui traditionnellement se dĂ©place moins que les autres vers les urnes. Ce qui me frappe et me rassure, c’est que pour la premiĂšre fois depuis Kennedy, Obama pourrait aller chercher des voix dans des couches habituellement « cachĂ©es » de l’Ă©lectorat amĂ©ricain, ce qui pourrait â peut-ĂȘtre â adĂ©quatement contrebalancer le lourd passif conservateur du Sud, du Middle West et de l’Ouest profond.
Je ne me fais aucune illusion sur la politique qu’une potentielle administration Obama pourrait mener une fois “dans la place”. Les USA resteront une puissance ultra-libĂ©rale, guerriĂšre, gangrenĂ©e par les lobbies, obnubilĂ©e par la religion et la consommation matĂ©rielle effrĂ©nĂ©e. Mais lĂ n’est actuellement pas la question. Le systĂšme politique amĂ©ricain pousse au final 2 personnes Ă s’affronter. Dans ce contexte, pas de place pour un candidat vert, sous peine de fragiliser les chances du candidat dĂ©mocrate, comme ce fut le cas pour Gore en 2000.
Evidemment que Barack Obama n’est pas l’homme de gauche, radical sur les questions sociales et environnementales, que j’aimerais qu’il soit. Mais cet homme-lĂ n’existe pas, politiquement, lĂ -bas. Paradoxalement, je suis revenu de ce voyage avec l’absurde conviction que pour gagner, Obama Ă©tait peut-ĂȘtre trop « liberal » (progressiste). L’horreur. Quel pays …