Nabucco & Désert
Les « majorités olivier » sont presqu’en place en Wallonie, à Bruxelles et en Communauté française, reste à savoir qui va les incarner. Le fil vert qui relie les 500 pages d’accords gouvernementaux est solide, clair, visible et enthousiasmant. Mais tout ça fera l’objet d’articles ultérieurs, quand les politiques seront réellement menées, d’ici quelques semaines.
Parlons fond : l’actualité internationale récente a vu émerger deux projets énergétiques majeurs pour l’Europe : le gazoduc Nabucco et le projet photovoltaïque Desertec.
Nabucco vise à acheminer vers nos pays du gaz naturel issu du d’Azerbaïdjan, du Kazakhstan, du Turkménistan ou … d’Iran via un gazoduc gigantissime, parcourant tout le Moyen-Orient via la Turquie, qui est littéralement traversée de part en part. L’objectif est évidemment économique et énergétique avant tout. Mais il est aussi politique pour le Européens et les anciennes républiques soviétiques du Caucase : contourner la Russie et son puissant consortium gazier Gazprom. En effet, ces dernières années, la Russie a utilisé ses énormes réserves gazières à des fins géostratégiques visant au final à rétablir son poids politique perdu, au travers notamment du conflit avec l’Ukraine. La Russie utilise le chantage du « robinet coupé » pour parvenir à ses fins, et les Européen veulent s’en affranchir, partiellement.
Desertec lui est un projet européen (essentiellement allemand) qui vise à produire de l’énergie électrique avec, en résumé, des panneaux solaires concentrés dans les déserts d’Afrique du Nord. La production électrique verte et africaine en devenir servirait donc à approvisionner une part importante (on parle de 15% à terme) de la consommation électrique européenne via un réseau de câbles haute-tension sous-marins. En gros, le réseau électrique renouvelable d’Afrique du Nord serait couplé avec le réseau électrique d’Europe, et les productions africaines viendraient contrebalancer les insuffisances passagères de production électrique éolienne ou de cogénération en Europe.
Ces deux projets posent des questions. Nabucco est un chantier typiquement productiviste qui, avant de se poser la question de l’économie d’énergie en Europe, cherche à agrandir par tous les moyens les sources diversifiées d’approvisionnement en énergie non-renouvelable. Et je ne parle pas de l’origine douteuse de ce gaz … les républiques dont je parle plus haut sont encore loin d’être des modèles démocratiques. Mais une question identique se pose pour le projet solaire !
Le cas de Desertec est plus complexe, enthousiasmant, mais néanmoins interpelant. On peut se réjouir de voir l’Afrique inclue dans un grand projet industriel basé sur autre chose que l’exploitation pure et simple de ses ressources naturelles (gazière et pétrolière essentiellement). Il faudra étudier le projet plus en profondeur, mais à première vue, l’électricité produite avec le soleil africain est destiné aux populations qui n’y habitent pas. Ce serait un écueil majeur et malheureux.
L’émergence des énergies renouvelables est une opportunité, pas la panacée, pour construire des rapports économiques et énergétiques plus justes, dans nos Etats occidentaux, mais aussi entre Etats du Nord et du Sud du Globe : il faut être – très – riche pour avoir une centrale nucléaire, pas pour installer un panneau photovoltaïque. Mais si les Occidentaux en viennent à piquer le soleil des Africains sans contrepartie, non merci.
Si Desertec permet aussi à l’Afrique de se développer, par ses ressources propres (dans les deux sens du terme), en commençant par développer un réseau intérieur performant pour la consommation de son électricité verte, alors je suis preneur. Et qu’elle vende une part (importante) de cet or vert aux pays du Nord, tant mieux, mais à la condition première de son propre développement énergétique, indépendant de l’énergie fossile.
La majorité olivier vient de faire de l’efficacité énergétique, de l’alliance emploi-environnement (dont l’isolation) un axe principal de son programme de gouvernement à Bruxelles et en Wallonie. Ici, on commence par économiser l’énergie (même verte), qu’on n’aura pas à acheter l’Est ou au Sud. CQFD.