Aujourd’hui, à la Chambre, nous avons discuté de l’éventualité d’une participation d’une frégate belge aux côtés du porte-avion français Charles de Gaulle dans l’objectif de mener des frappes aériennes contre Daesh en Syrie. C’est un peu long, mais tout y est :

Madame la présidente, Monsieur le ministre, […].

Vous connaissez mon obsession pour lutter contre Daesh. Je suis un des rares collègues ici à revenir à chaque fois sur les causes de Daesh pour mieux lutter contre eux. Jamais vous ne pourrez nous prendre en défaut, du côté des verts, de volonté de lutter contre ces terroristes.

Évidemment, la donne a changé avec les attentats de Paris. Aujourd’hui, Daesh, notre ennemi depuis l’intervention en Irak de six F-16 belges, loin d’être affaibli, est capable de toucher nos populations au cœur de l’Europe, et surtout, de manière plus inquiétante, de recruter huit jeunes nés et élevés en Europe. C’est cela, la nouvelle donne.

Vous connaissez mon obsession justifiée de la cause de ce conflit, tant en Irak qu’en Syrie : c’est le problème des sunnites. Aujourd’hui, avant de prendre une décision aussi grave que d’entrer en guerre une nouvelle fois, nous posons deux questions. Premièrement, comment un groupe terroriste sectaire parvient-il à donner envie à huit jeunes élevés en Europe de mettre fin à leurs jours en actionnant une ceinture d’explosifs à Paris ? Deuxièmement, quel récit puissant les terroristes de Daesh sont-ils parvenus à écrire pour parvenir à fanatiser nos jeunes?

On se pose une question : une énième intervention militaire dans la région ne va-t-elle pas alimenter la propagande de Daesh ? Cela s’est avéré inefficace dans le cas de l’Irak. On l’a bien vu, cela n’a pas diminué la force de Daesh ni sur le plan militaire ni surtout sur le plan symbolique et politique.

Daesh dit: “Regardez, vous, Arabes sunnites, êtes les victimes d’un complot des croisés“. Je les cite, malheureusement. Je ne partage évidemment pas cet avis. Mais nous arrivons exactement à l’histoire déroulée depuis des années par Daesh à ces jeunes fanatisés : “Les sunnites sont victimes d’un complot de croisés“; à savoir qu’il va y avoir une coalition des Russes, des Américains et des Européens occidentaux contre “les sunnites“.

La question que l’on doit se poser, c’est celle de l’efficacité. J’aimerais rappeler que les mesures prises par les Américains au lendemain des attentats du 11 septembre, il y a quinze ans, ont amené les Américains à mener des représailles contre les talibans qui hébergeaient Oussama Ben Laden, dans les montagnes, à la frontière avec le Pakistan. À l’époque, tout le monde trouvait normal qu’on venge les attentats de New York, comme aujourd’hui tout le monde trouve normal qu’on intervienne pour venger les attentats de Paris. J’aimerais juste vous faire remarquer que les États-Unis sont toujours en Afghanistan quinze ans après et que les talibans aussi y sont toujours. Avant de prendre la décision de mettre le doigt dans l’engrenage, on doit réfléchir aux actions militaires, diplomatiques, politiques et de renseignement qui ont fonctionné et à celles qui n’ont pas fonctionné.

Monsieur le ministre, oui, je suis extrêmement troublé aujourd’hui. Je ne suis pas contre la guerre a priori mais je m’interroge. Va-t-on mettre le doigt dans l’engrenage maintenant ? Avec quelles conséquences pour plus tard ? Si la conséquence, c’est d’augmenter la force de frappe de nos ennemis et la force d’attraction, en particulier pour nos jeunes, dans nos quartiers, alors il faut vraiment revoir notre position.

[…]

Évidemment, il faut faire quelque chose. Faut-il pour autant faire n’importe quoi ? Vous parlez de risques pour notre frégate. Ils doivent être mesurés, nous les mesurerons en détail en commission à huis clos. Mais ce qui m’interpelle le plus ici, c’est le risque pour notre pays et notre population.

On en revient au fond. La motivation de Daesh, son émergence en Syrie, est guidée par l’opposition à Bachar el-Assad. Demain, indirectement certes, nous allons nous allier, de par la présence du Léopold 1er aux cotés du Charles de Gaulle, avec le régime de Bachar el-Assad. Or, le discours sectaire qui porte dans les populations sunnites, qui représentent 80 % de la population en Syrie – ce n’est pas l’Irak, la majorité est sunnite en Syrie – est exactement l’opposition à Bachar el-Assad. C’est parce que Daesh apparaît comme le principal opposant à ce tyran sanguinaire que les sunnites vont en masse rejoindre Daesh.

Or, nous allons indirectement participer à des frappes contre Daesh. Cela a été dit par des collègues, cela a été dit à de très nombreuses reprises dans la commission de suivi et dans cette commission : les frappes sont inefficaces si elles ne sont pas ensuite suivies par une armée au sol. Quelles sont les forces armées au sol disponibles en Syrie aujourd’hui ? L’armée de Bachar el-Assad, essentiellement alaouite donc chiite, les Kurdes et les milices chiites du Hezbollah. Aujourd’hui, il n’y a pas d’armée sunnite ou de force armée, paramilitaire ou autre, sunnite qui puisse reprendre les zones sunnites de Syrie.

Ma crainte ne se fonde pas sur une opposition a priori à une intervention militaire, mais sur l’expérience militaire en Afghanistan et en Irak. Je redoute que ces mesures soient inefficaces, voire contre-productives. Même après l’intervention indirecte de notre pays aux côtés du porte-avions, on trouvera en Syrie toujours plus de Belges radicalisés et associés à Daesh que de Belges servant dans notre armée.

Monsieur le ministre, comme tous les démocrates, vous combattez et nous combattons une armée criminelle sectaire, mais ce que nous allons faire aura un impact symbolique et donc stratégique. La terreur qui a frappé Paris vendredi dernier nous pousse à réagir avec nos tripes contre Daesh, et c’est bien légitime. Cela étant, dans cette lutte, nous devons pouvoir agir comme notre ennemi, c’est-à-dire avec notre cerveau. C’est de cette manière que nous, démocrates, nous gagnerons la bataille contre ces terroristes.