Comme promis ici, voici la suite de ma réflexion sur cette difficulté pour tout mouvement ou toute personnalité politique progressistes, parfois démocrate (il ou elle ne l’est pas forcément !), à convaincre la majorité (de moins en moins) silencieuse du Middle West et du Sud américains. Inversement, l’aisance avec laquelle la rhétorique républicaine pénètre dans ces populations littéralement perdues dans ces immenses espaces agricoles et/ou désertiques. Un coup d’oeil rapide sur la carte synthétique des « tracking polls » (sondages … quotidiens !) de NPR est éclairante :

La première chose qui frappe l’Européen qui explore ce pays, c’est son immensité. Cette nation-continent est à ce point géographiquement étendue, économiquement développée, qu’elle vit dans l’illusion de l’infini, et son corollaire, le mythe de l’auto-suffisance.

Sarah Palin n’est jamais sortie des USA (comme Bush avant elle), sauf pour visiter les troupes US stationnées en Irak et faire un saut dans leurs bases militaires en Allemagne. Elle a pourtant 43 ans et occupe des fonctions à responsabilités, elle a depuis de nombreuses année atteint un niveau de vie matériel aisé qui le lui permette. Mon sentiment est que pour de nombreux Américains vivant dans ces régions rurales (au centre et au sud sur la carte et son excroissance d’Alaska), voyager à l’étranger n’est simplement pas « nécessaire ».

Cet isolationnisme touristique des populations centrales ne vient pas, selon moi, d’une position a-priori xénophobe, mais tout simplement de leur positionnement sur la carte de ce pays. Ils vivent dans les (très) « little towns » (dont la vie est ultra-sublimée dans les discours de Palin), parfois localisées à des milliers de km de la première ville moyenne. Ils peuvent « touristiquement » tout voir, tout expérimenter sur la même parcelle de Terre … sauf la grande différence culturelle, le fait de se sentir en terrain « non conquis », le fait de devoir faire un effort pour comprendre l’autre culture (à commencer par sa langue). Tout est de toute façon copié à Las Vegas (la pire expérience touristique de ma vie).   

Ce continent est – pour la partie Ouest – celui de la  prétendue « Terre vierge » du XIXème siècle, un espace artificiellement conçu comme nu et à s’approprier (au détriment des « native Americans »), où les nouvelles religions (Quackers, Mormons, Protestants radicaux de toute obédience et autres sectes plus ou moins farfelues) ont trouvé un terreau particulièrement fertile, qui aujourd’hui encore a un impact phénoménal sur la politique américaine. L’Utah – dont provient Mitt Romney un moment envisagé comme candidat vice-président par McCain – est un Etat mormon et se revendique comme tel. Leurs croyances et habitudes sont d’une hilarante loufoquerie, j’y reviendrai, mais la plupart des Américains respectent profondément  ces concitoyens, parce que ces Mormons sont des croyants fervents, et il n’y a pas pire que de ne pas croire. L’athéisme est inconcevable pour ces populations conservatrices.

L’immensité, l’isolement géographique (et donc culturel), la force des éléments naturels qui se déchaînent parfois contre eux ont amplifié leur foi. Je me suis souvent dit en traversant ces immenses plaines arides ou ces Canyons ciselés que ces familles de pionniers pauvres et mal équipés d’alors, puis leurs successeurs d’aujourd’hui, ont souvent dû se dire qu’ils traversaient la Judée ou le Sinaï, l’incarnation terrestre de l’enfer puis du paradis. Ils ont rapidement du faire ce raccourci biblique. Leur histoire pousse certains Américains à se considérer comme un peuple élu. Les Européens, qui subissent sur leurs coin de Terre des millénaires de sédimentation historique et récemment vécu « live » deux guerres mondiales, ont bien plus facile de prendre cette distance intellectuelle. Un Européen, même rural, est amené à traverser plus souvent une frontière (politique ou culturelle) qu’un Américain du Middle West … c’est tout simplement physique.

La culture américaine domine le monde. Le monde entier parle (fictivement) l’Anglais. C’est un fait économique fondamental, qui doit aussi nous éclairer sur cette paresse qui peut pousser ces Américains conservateurs à ne pas « aller voir plus loin », puisqu’ailleurs c’est présumé comme pareil ou alors dangereux. Tout discours humaniste, cosmopolite et universaliste est vu comme naïf ou stupidement « liberal » pour cette masse de cow-boys & girls fiers de leur côté « maverick » (le surnom dont s’auto-affuble le couple McCain-Palin), un peu lent intellectuellement, souvent borné mais franc, « couillu » (même si c’est une femme), courageux, sincère et patriote.

Ce sentiment « continental », les stratèges républicains  – dont le très brillant Karl Rove – l’ont bien compris depuis les prémices de l’élection de 2000 où G. W. Bush a été choisi. En 2008, ces mêmes conseillers jouent sur cette même corde sensible : ils mettent en avant des candidat-e-s qui plaisent à l’Amérique profonde et conservatrice.

Ils ont d’abord choisi un ancien militaire au parcours sans faute, martyr de la guerre du Vietnam, vraiment très âgé certes mais utra-symbolique. Ils ont aussi choisi un femme, qui travaille (signe des temps) tout en étant mère de 5 enfants. Ils choisissent une candidate vice-présidente dont la fille adolescente est enceinte, mais qui va épouser le père de l’enfant (!). N’oublions pas que dans le contexte américain, peu importe le pêché, c’est le pardon et la repentance qui compte plus que tout. Dans ce contexte, cette grossesse un temps vue comme un handicap s’est avérée un véritable atout médiatique pour rendre Palin « comme tout le monde »: « qui n’a pas de problèmes familiaux ? ». J’ajouterais sur ce sujet que toute la famille Palin (bébé trisomique de 5 mois et futur mari de 17 ans y compris) était exhibée à une heure de toute grande écoute sur toutes les chaînes nationales lors de la Convention républicaine. C’était comme une réponse ironique et efficace aux candidats démocrates qui avaient déclaré le jour-même en réponses aux questions pressantes des journalistes sur ce sujet délicat : « children out of the mess ».

Les positions de Palin sur la guerre en Irak sont ahurissantes, où sans le dire explicitement, elle effectue systématiquement des glissement sémantiques tentant à faire croire que la guerre en Irak était une réponse légitime aux attentats du 11 septembre. L’Amérique peureuse et traumatisée applaudit. Ses positions sur l’environnement sont ahurissantes de négationnisme (elle doute que le réchauffement climatique soit d’origine humaine) mais font écho à ce que de nombreux Américains pensent sur le sujet. Ceci a une conséquence sur le débat énergétique, d’ailleurs intimement liée à cette idée d’auto-suffisance.

J’y reviens tout prochainement.